Violence : Où est sa victoire ? (1)
L’argument favori des humains, qu’ils soient intellectuels, politiciens ou simples citoyens pour contrer la volonté non-violente affichée par un certain nombre de personnes, c’est que non seulement la violence serait légitime, mais que, de plus, elle serait efficace, là où la non-violence ne serait que rêverie d’adolescents attardés…
Pourtant, j’aimerais que l’on me dise, que l’on me montre, que l’on me prouve ce que la violence a jamais réussi de bénéfique pour l’humanité ? Qu’a donc construit l’usage de la violence au fil des millénaires ? Qu’a-t-elle obtenu sinon des larmes, du sang, de la misère, de la haine et de la destruction ?
Je suis peut-être aveugle, mais hormis la satisfaction d’orgueil du violent qui, soudain, se sent important au travers de sa brutalité, je ne vois pas ce que l’usage de la violence apporte de constructif à l’humanité entière.
Je vais tenter, ici, d’analyser les effets de la violence tant au plan personnel qu’au plan politique.
Quelques motivations qui mènent à la violence
Même si je suis obligé de me répéter quelque peu, je crois qu’il faut rappeler quels sont les motivations et les ressorts qui mènent à la violence. Je peux analyser les choses comme je le veux, je reviens toujours à deux bases essentielles qui sont, d’une part la peur et d’autre part l’orgueil, même si d’autres éléments ou sentiments viennent s’y ajouter. Je pense à la jalousie, les désirs incontrôlés, la cupidité, par exemple.
Pour la peur, il est évident que nombre d’entre elles sont irrationnelles et donc, vraisemblablement, liées aux instincts primaires, lien existant au niveau de l’héritage génétique depuis la nuit des temps le plus probablement. On peut penser que dans ces époques très reculées, l’homme n’avait guère d’autre choix que d’user de violence pour se défendre tant contre la nature, je pense aux animaux sauvages, que contre d’autres hommes, et là je pense à la conquête du feu et plus tard des terres. Cette peur amenant à la violence n’était évidemment pas irrationnelle, c’était la réalité des humains de ces temps. L’irrationnel, c’est nous qui le vivons. Nous avons tous fait, j’en suis convaincu, l’expérience, surtout dans notre jeunesse, de peur que nous ne pouvions rattacher à rien de concret. Avec l’âge, ce genre d’indisposition tend à disparaître, heureusement. Le malheur, c’est que dans une société comme la nôtre, la peur sert magnifiquement les visées des divers pouvoirs, qui, de ce fait, surtout avec le support médiatique tout acquis à leurs causes, maintiennent les populations dans une peur toujours largement irrationnelle.
Si l’orgueil est parfois le résultat de la peur, cette dernière n’explique pas tout. Cet orgueil, poussé à un point démentiel comme on peut le constater chez la plupart des dirigeants, politiques, scientifiques, financiers, de multinationales, de médias et j’en passe, me semble relever d’une pathologie. C’est maladif et les conséquences sont graves puisqu’elles mènent aux dictatures, aux guerres et à toutes sortes de crimes contre les peuples, qu’il y ait ou non mort d’homme. L’orgueil mène aussi à la jalousie et à l’envie. On jalouse la position professionnelle d’un autre qu’on estime moins compétant que soi-même. Et, parfois, pour régler ce que nous croyons être une injustice, nous passons dans la violence sous forme de rumeurs, de harcèlement, bref, tout ce qui peut détruire celle ou celui qui nous gêne. L’envieux, lui, risque de passer dans la violence physique pour voler telle ou telle chose qui le rend fou d’envie… Et, bien entendu, tous ceux qui agissent par peur, par jalousie, par envie déclarent que la violence, leur violence est légitime. Curieusement, la violence de ceux qui voudront se défendre, les agresseurs ne la considéreront pas comme étant légitime… La violence étant basée sur la négation de l’autre, la négation de son égale dignité, de son égal droit à la vie, cette violence devient mensonge face à la réalité de la vie qui nous fait égaux en dignité.
En fait, je crois que la violence résulte de l’ensemble des tares humaines, appelées « péchés » dans les religions… Pour les uns, c’est la résultante de notre origine animale, considérant que nous ne sommes guère que des animaux dotés d’un cerveau un peu plus gros, rien de plus… Pour d’autres encore, comme moi, non, si nous avons un corps proche de l’animal, nous avons un esprit, mais surtout une conscience très développée, dans la mesure où nous lui laissons la place nécessaire pour qu’elle grandisse, une conscience qui nous différencie grandement du monde animal. Cela ne signifie pas une quelconque supériorité. A mon sens, toute vie est égale, toute vie est précieuse. Mais cela signifie que nous avons une autre « vocation » que celle des animaux. Nous avons la possibilité, si nous le voulons vraiment, d’aller vers toujours plus d’esprit, toujours plus de profondeur, plus de conscience… Après, notre devenir, ce que nous en ressentons, dépend si nous croyons en un « être » divin ou non… Selon que nous croyons ou non en ce « Tout Autre », et je ne parle pas en termes de religion, nous pourrons, toujours si nous le voulons, comprendre que la violence est toujours un échec tragique pour l’humain. Le « Tout Autre », par définition, pouvant être une « conscience universelle » ou un « être » ou « quelque chose » que nous ne pouvons pas réellement concevoir.
Les effets de la violence au plan des individus
Sur un plan strictement personnel, donc en considérant l’être dans sa profondeur, la violence peut-elle avoir un effet bénéfique ?
Si la personne est orgueilleuse, alors, elle aura le sentiment que la violence dont elle use ou va user lui est bénéfique par rapport à ses ambitions, par rapport à ses projets. L’orgueilleux se flatte toujours des résultats de son éventuelle violence. Elle est la marque du « plus fort », la marque de celui qui « n’a pas peur », c’est la marque du « dominant » sur les « dominés », du moins, est-ce ainsi qu’il pense les choses. C’est surtout la marque d’un ego surdimensionné, voire maladif. C’est évidemment simpliste, mais le manque de réflexion est la marque même des grands orgueilleux. Lors des cours de ventes que j’ai suivis pour tenter de palier mon premier chômage à l’âge de quarante ans, on nous a appris qu’il n’y avait rien de plus simple et de souhaitable pour un vendeur que de tomber sur un orgueilleux ou son équivalent féminin. Avec un peu d’intelligence à notre service, pas mal de flatterie, oui, ils tombent comme des fruits trop mûrs dans nos filets. Je ne dis cela que pour illustrer la faiblesse des orgueilleux qui n’ont, pour tenter de contrebalancer cette faiblesse que la violence à leur disposition.
Qu’apporte la violence exercée sur les autres par un individu ?
Orgueilleuse ou non, sachant que nous avons tous un fond plus ou moins grand d’orgueil, la violence apporte un sentiment de puissance et, souvent, un sentiment d’impunité. Le violent pense dominer autant la situation que la personne contre qui il exerce cette violence. Cette dernière peut prendre toutes les formes ; physique, paroles, insinuations, dénonciation, lancement de rumeurs, mensonges, hypocrisie, mépris, et tant d’autres choses encore…
A priori, le violent, surtout s’il bénéficie d’une situation sociale confortable, grâce à sa violence, obtiendra l’admiration de certains, en particuliers des peureux ou de tous ceux qui cherchent quelque avantage auprès du personnage. Si, au contraire, le violent fait partie d’un monde nettement moins avantagé, il s’attirera les flatteries de ses compagnons d’infortune et une sorte de respect dû, avant tout, à la crainte.
Qu’il s’agisse d’un puissant ou d’un miséreux, outre la peur, l’usage qu’ils feront de la violence répond toujours au besoin de dominer, de s’affirmer face à l’autre, en le blessant, en le tuant le cas échéant. C’est, dans tous les cas, un rapport de force loin de tout rapport d’esprit. C’est un rapport « animal », pas un rapport digne d’un être évolué vers l’esprit.
Vu sous cet angle, on comprendra aisément, même si ce n’est pas facile à accepter, que la violence ne peut qu’être un échec de l’humain considéré. La violence est et reste l’arme des faibles parce qu’ils n’ont pas d’autres arguments pour faire valoir ce qu’ils sont, ou tout simplement pour exister aux yeux des autres ou à leurs propres yeux…
Par l’usage de la violence, ces êtres peuvent être respectés, en raison de la peur inspirée, mais ils ne seront pas aimés. La violence n’inspire pas l’Amour entre humains, seulement la peur ou la haine…
En quoi la violence fait-elle avancer (évoluer), stagner ou régresser l’individu ?
En parcourant l’Histoire, mais aussi en considérant les individus, force est de constater que la violence ne fait jamais évoluer positivement un individu, quel qu’il soit. Bien sûr, l’espèce de propagande que l’on entend partout et depuis toujours en faveur de la légitimité de la violence, laisse croire que par la violence l’humain progresse. A l’analyse, cette affirmation ne tient pas, tout au contraire.
Progresser veut dire, si je comprends bien le français, avancer, grandir, évoluer vers le meilleur. La violence n’agit jamais en ce sens. Comment ne pas comprendre que l’usage de la violence, quelle que soit sa forme, ne peut qu’au mieux, nous faire stagner ? Pour évoluer positivement, il faut emprunter des voies nouvelles et non pas celles de toujours, celles qui ont prouvé leur inefficacité et leur nocivité. En fait, si l’on veut bien être lucide et en dépit de toutes les excuses que l’on peut chercher pour justifier l’emploi de la violence, celle-ci fait toujours régresser l’individu qui en use.
On sait que la haine, puissant moteur de la violence, détruit peu à peu l’individu qui la développe en lui-même. Violence et haine étant de la même famille, la violence ne peut que détruire, peu à peu, celui qui en use. Avec le temps, tout en lui passera à la haine, parents comme conjoint comme enfants ; la société dans son ensemble sans distinction ; pour finir, le plus souvent, c’est la vie elle-même qui devient l’objet de sa haine. Parfois, cela finit en bain de sang. Conclusion dramatique mais logique de la violence animée par la haine. En fait, tout ce qui est contraire à l’Amour finit par détruire.
Certains, aujourd’hui, au lieu de parler d’Amour, mot considéré comme désuet par beaucoup, préfèrent parler d’ « énergie positive ». Personnellement, je n’aime pas trop parce que le mot « Amour » éveille en moi le « beau », le « bon », éveille en moi la notion d’ « éternité », d’ « universalité », d’ « infini »…
Mais, raisonner en termes d’énergie peut permettre de mieux comprendre ce que je veux dire lorsque je parle d’évolution ou de régression de la personne. Lorsque l’être humain « aime », c’est comme s’il se chargeait d’énergie positive, une énergie qui ne peut que le porter plus haut, plus loin tout en restant extrêmement lucide sur l’impermanence de son être, de tous les êtres et de toutes les choses. Lorsque l’être humain « aime », l’énergie positive alimente son esprit et son corps. Mais c’est avant tout l’esprit qui évolue, qui grandit.
En revanche, lorsque l’être humain « hait », « maudit », « se livre à la violence », tout se passe comme s’il était envahi d’une « énergie négative », une énergie qui va le faire régresser et, s’il n’y a pas de frein, il régressera jusqu’à l’abîme.
Lorsqu’on a la foi en Dieu, quel que soit le nom qu’on lui donne ou lorsqu’on a simplement la foi en l’homme, on ne peut que vouloir l’évolution positive de l’humanité, donc, peu à peu, l’établissement universel de l’Amour. Mais pour cela, évidemment, il faut aimer, vouloir aimer : Aimer l’humanité, aimer la vie animale, aimer la vie végétale, avoir la capacité de s’ébahir devant les spectacles grandioses de la nature, de notre terre si fragile. Il faut savoir garder, même si c’est extrêmement dur, un regard d’enfant sur les êtres, sur les choses et sur la vie…
Or, je suis totalement convaincu qu’entretenir la violence en nous, comme autour de nous, tue très efficacement l’enfant qui est en nous, l’enfant que nous avons été, l’enfant dont nous aurions dû garder bon nombre de traces…
à suivre