Colloque de Lyon sur la désobéissance civile (7)

Publié le par Jean Dornac

jeudi 6 avril 2006

Avec François Roux

Remarque préliminaire :
Le son de mon enregistrement n’ayant pas été bon pour cette partie du colloque, malheureusement, il y a des passages qui n’ont pu être retranscrit... J’en suis désolé...

Serge Perrin :
François Roux est avocat, il a défendu les paysans du Larzac dans les années soixante-dix, lutte qui a été menée en particulier avec l’organisation des « paysans travailleurs » qui est le précurseur de la Confédération paysanne, co-organisateur de ce colloque. Comme nous le rappelait Jean-Marie, la lutte du Larzac était une lutte de désobéissance civile, en particulier autour du renvoi des livrets militaires et le fameux refus de l’impôt. Il y a eu une proposition alternative, la construction de la bergerie de la Blaquière en plein milieu du secteur convoité par l’armée, et de la construire sans permis de construire, ce qui était d’autant plus intéressant.
François était aussi l’avocat des Canaques en lutte pour leur indépendance, contre le colonialisme français.
Aujourd’hui, François continue d’accompagner la lutte de désobéissance civile en étant l’avocat des Faucheurs volontaires et, bien sûr si François est, aujourd’hui, l’avocat aux Etats-Unis de Messaoui, ça ne veut pas dire que Messaoui préparait une action de Résistance civile non-violente, bien entendu.

François, tu as la parole...

François Roux :
Merci beaucoup de m’avoir invité à ces réflexions très utiles quand on est très souvent aux fourneaux. C’est très important de se remémorer l’historique, la philosophie je dirais, de ce qui se fait, de ce que j’essaye de soutenir régulièrement devant les magistrats. C’est pas toujours évident... Mais je crois comprendre que la prochaine fois, mes deux voisins vont venir me donner encore un coup de main devant les juges pour leur expliquer parce que je crois qu’ils ont vraiment besoin d’entendre tout ça. J’ai eu la chance, au procès d’Avignon, d’avoir Hervé Hot( ?) qui est rentré en discussion avec l’avocat général, le procureur général. Il nous a fait un très beau témoignage là-dessus. Après un très beau témoignage, il a su poser plein de questions et du coup ça s’est bien passé... C’était très révélateur et surtout c’était très bien...

Comment expliquer effectivement aux magistrats : Voilà, les personnes qui sont là l’ont fait volontairement, l’ont fait de manière non violente, mais elles vous demandent de ne pas les condamner ; ce n’est pas tout à fait évident au départ et pourtant vous savez Jean-Marie Muller a cité quelques jurisprudences historiques. Maintenant, il y a des jurisprudences de ces deux tribunaux dont vous avez entendu parler, le tribunal de Versailles, qui viennent de reconnaître la légitimité de la désobéissance civile. Je voulais vous dire juste un passage du tribunal d’Orléans, certains prévenus sont parmi nous. Nous appelons devant les tribunaux, la désobéissance civile, nous disons que ceux qui désobéissent à la loi l’ont fait en état de nécessité, c’est la formule juridique de la désobéissance civile, c’est l’état de nécessité. Je ne pouvais pas faire autrement que de désobéir à la loi. Cet état de nécessité, sachez que c’est une invention des magistrats eux-mêmes avant le législateur, ce qui est souvent le cas. C’est ce que nous disons aux magistrats quand nous plaidons devant eux : n’attendez pas que le législateur vous ouvre les voix, vous pouvez le faire vous-même. Parce que le magistrat me dit toujours quand la loi existe, il n’y a qu’une seule solution c’est de l’appliquer. Je peux l’interpréter mais je ne peux pas ne pas l’appliquer.

Il se trouve que des juges de Cour d’Appel de Colmar, en décembre 1957, ont créé de toutes pièces cette notion d’état de nécessité qu’ils ont introduit dans leur décision et qui, par la suite, a été reprise par le législateur pour être maintenant dans notre code pénal ; dans notre Code pénal sous l’article L122-7qui consacre ce que nous appelons, nous les juristes, un fait justificatif, c’est-à-dire que quelqu’un a bien désobéi à la loi, mais il n’est pas punissable parce qu’il y a un fait justificatif à cette désobéissance, c’est fort ça ! Cet article L122-7 dit : «  n’est pas pénalement responsable la personne qui face à un danger actuel ou imminent qui menace elle-même, autrui ou un bien, accomplit un acte nécessaire à la sauvegarde de la personne ou du bien sauf si il y a disproportion entre les moyens employés et la gravité de la menace  », intéressant çà ! Donc, ça, c’est ce qui est aujourd’hui, depuis quelques années seulement, dans le Code pénal.

Donc, au départ, c’est cette Cour d’Appel de Colmar qui, le 6 décembre 1957, avait dit : « l’état de nécessité est un des fondements du droit que toutes les civilisations juridiques évoluées, dégagées du légalisme initial, consacre soit dans la loi soit dans la doctrine et la jurisprudence  ». La doctrine, pour nous les juristes, c’est ce que racontent les auteurs de droit. Je veux juste ajouter que ce qui caractérise la nécessité, c’est l’état dans laquelle une situation se trouve une personne qui pour sauvegarder un intérêt supérieur n’a d’autres ressources que d’accomplir un acte défendu par la loi pénale. Le tribunal d’Orléans rajoute ceci : « il a été relevé en doctrine que celui qui agit en état de nécessité commet un acte socialement utile et que la collectivité concernée n’a aucun intérêt à punir, au regard de laquelle la censure ne remplit aucune de ses fonctions traditionnelles de rétribution d’intimidation ou de réadaptation  ».



Nous sommes, aujourd’hui, grâce à un certain nombre de citoyens, de citoyennes, dans un débat passionnant en France sur la reconnaissance, avec des limites, parce que l’on peut le faire véritablement rentrer dans le Droit , la reconnaissance de quoi ? La reconnaissance de ce qu’il est possible de désobéir à la loi et de s’en remettre aux tribunaux pour dire si effectivement nous étions dans un cas accepté par la loi, dans ce qu’a rappelé la déclaration des Droits de l’homme et des citoyens en 1789 en appelle la résistance à l’oppression. Cette déclaration des Droits de l’Homme et du citoyen fait partie aujourd’hui de ce que l’on appelle le bloc de constitutionalité, c’est-à-dire qu’elle est incluse dans le bloc de constitutionalité et elle mentionne la résistance à l’oppression et va totalement dans le sens de ce que les tribunaux ont décidé avec l’état de nécessité. Après vous verrez, vous-mêmes, si vous étudiez ces décisions d’Orléans ou de Versailles.

Je rappelle maintenant qu’elles sont devant la Cour d’Appel parce qu’il va falloir se battre à nouveau devant la Cour d’Appel. Les magistrats se livrent à toute une analyse qui rejoint très curieusement nos références sur la désobéissance civile et, notamment, d’abord le problème de savoir si on a épuisé tous les moyens légaux, (amusants non ?) s’il y a proportion, amusant çà aussi, si il y a proportion entre les moyens employés et la gravité de la menace, dit le texte. On est absolument dans nos réflexions à nous ; on est dans ce débat et puis on est dans le débat que vous citiez tous les deux devant les tribunaux de l’engagement personnel ... Vous rappeliez qu’effectivement la désobéissance civile, je ne cesse de le rappeler devant les tribunaux, c’est à la fois une dimension personnelle majeure et une dimension collective et je vous dis ici que ce qui a aidé les tribunaux dans leur décision de relaxe, c’est qu’ils ont été extrêmement impressionnés par l’engagement des personnes qui ont comparu devant eux... C’était visible.

Vous savez d’abord, j’en dirais quelques mots, nous avons d’abord essayé d’élargir encore le débat en imposant aux tribunaux cette dimension collective des faucheurs volontaires, en imposant des « comparants volontaires ». Vous vous souvenez du premier procès des faucheurs volontaires de Toulouse. Le Procureur en convoque 7, en disant : « ils ont fait partie d’une action en réunion de plus de 400 personnes ». Et, là, on bondit là-dessus : « vous avez raison, M. le Procureur, ils étaient bien plus de 400, ils étaient même 1000 ! Et pourquoi vous en avez poursuivi 7 » ? A ce moment-là, nous arrivons le jour du procès avec 220 personnes qui disent : « nous y étions et nous voulons, nous aussi, être jugés ; nous voulons comparaître volontairement... On nous dit vous voulez être condamné, non on dit on veut comparaître et être relaxés (rires) parce que l’on va vous expliquer pourquoi on a fait tout cela ». Le tribunal, à notre propre stupéfaction, nous donne raison : dimension collective de l’action, pourquoi nous ne le prendrions pas en compte ? Le premier tribunal nous donne raison à Toulouse ; le deuxième tribunal nous donne raison à Lyon. Là, c’était la deuxième surprise, parce que l’on s’était dit « on a gagné à Toulouse, cela ne va jamais remarcher une deuxième, fois ». Clac, cela a remarché une deuxième fois. Après les Cours d’Appel ont rectifié le tir. A présent, c’est devant les Cours de Cassation.

C’est aussi un débat intéressant pour les luttes sociales... Les intermittents du spectacle se sont posé la même question pour savoir s’ils faisaient des comparutions volontaires ; les déboulonneurs volontaires vont comparaître, au mois de juin à Montpellier. Bien entendu, nous allons nous poser la question des « comparants volontaires » pour donner cette dimension collective de l’action, mais toujours à partir, je le répète, d’une dimension individuelle. Et le témoignage que je voudrais enfin donner des « comparants volontaires », c’est Orléans, justement. 44 personnes convoquées, donc, là, le Procureur avait déjà élargi, et il y en a 44 nouvelles qui arrivent et qui disent : « attendez c’est bien Monsieur le Procureur d’en avoir convoqué 44, mais on n’était pas que 44 on était 88 » ! Donc, il y en 44 de plus qui se présentent et j’aurais voulu que vous voyiez la tête des magistrats à l’appel, vous m’entendez (rires), la tête de l’audience quand on leur dépose des conclusions avec 44 personnes nouvelles et qu’on lui demande de procéder à l’appel, pas une ne manquait à l’appel, vous m’entendez ? Des gens qui avaient fait le tour de France pour arriver, pour certains, ils avaient roulé toute la nuit, qui étaient là le matin à 8h30 au tribunal d’Orléans : présent Monsieur le Président. Il appelait, il n’en revenait pas. Au fond de la salle, il y avait une avocate elle en pleurait. Elle a dit : « je n’ai jamais assisté à une scène pareille devant un tribunal ». Des gens qui disent je suis solidaire, j’y étais, je veux être jugés en même temps. Et c’est ce même tribunal d’Orléans, et je me dis que ça n’est pas pour rien.

Je veux, ici, rappeler les combats passés qui inspirent ce mouvement des faucheurs, c’est important parce que cela c’est le socle. Et, là, personnellement, je veux rendre hommage à ce mouvement actuel des faucheurs et des faucheuses volontaires. Et vous l’avez rappelé tous les deux, la désobéissance civile il faut payer de sa personne. Eh bien les faucheurs volontaires sont des personnes venant de toutes catégories sociaux professionnelles, tous âges, de toutes les parties de France qui ont accepté de payer de leur personne, parfois violemment parce que vous savez comme moi que quelquefois cela a été très violent dans les champs de maïs ou autres ; qui acceptent de payer de leur personne sur le fait de comparaître devant la Justice, d’avoir peut-être des conséquences, cela fait vraiment partie, comme le disait Gandhi, de la démarche de désobéissance civile, cet engagement personnel. Et je vous certifie que cela fait aussi partie des raisons pour lesquelles les tribunaux sont très impressionnés et ont envie de chercher alors les solutions. Pour quoi faire ? Pour avoir une réponse adaptée. Parce que si vous arrivez devant un tribunal avec des personnes qui viennent expliquer pourquoi un jour, après mûres réflexions, parce que l’on ne se lance pas comme cela, pourquoi moi tel citoyen, telle citoyenne et notamment des élus, notamment des élus Verts, on les a titillés, vous êtes des élus, vous faites des lois, vous participez aussi à çà, comment vous pouvez expliquer tout cela ?... Ils risquent leur mandat. On a besoin des élus.... Ils ont pris ces décisions, ils l’ont expliqué aux juges. Le juge, face à l’authenticité de cet engagement individuel et collectif, a eu envie de trouver une réponse.

Eh bien évidemment, pour nous les juristes, c’est l’état de nécessité avec, en plus, ce que nous plaidons depuis un certain nombre d’années qui consiste à dire se mettre en marge de la loi française, c’est aussi parfois se mettre par contre dans le respect d’une loi supérieure et qui n’est pas comme le dit Antigone la loi non écrite de nos consciences mais qui peut être dans notre cas la loi européenne, qui peut être la loi de Carthagène ou qui peut être la chartre de l’environnement. Donc des normes supérieures ; donc, cela aussi, c’est un travail qui n’est pas inintéressant qui consiste à dire aux juges : « oui un certain nombre de faucheurs disent nous obéissons à une autre loi, par exemple nous obéissons à l’article 8 de la Convention européenne des Droits de l’Homme qui dit que il faut protéger l’environnement et que chaque citoyen a droit à un environnement sain ». Eh bien, nous par respect pour ce principe inscrit dans la Convention européenne des Droits de l’Homme, nous avons pensé qu’il fallait passer à l’action.

Voilà je trouve que ces actions de désobéissance civile, il est important qu’elles se traduisent sur le terrain ; que des personnes s’engagent et qu’après, nous les juristes, on essaie d’engager le débat, sur le terrain qui est le nôtre, qui par des décisions qui feront avancer, ce que l’on veut aussi, des modifications de la loi. Au moment où le gouvernement veut faire passer en force une loi dite scélérate sur les OGM, puisqu’elle tente en réalité à permettre aux semenciers de venir polluer au bénéfice de leur profit, je crois que ces actions de désobéissance civile qui ont été menées et qui vont continuer à être menées justement, je l’espère en tout cas, vont permettre que la loi qui est en gestation ne soit pas la loi qui nous est proposée mais une loi qui soit respectueuse de ces textes beaucoup plus fondamentaux auxquels nous croyons qui est celle des Droits de l’Homme qui est cette chartre sur l’environnement, qui est le protocole de Carthagène. Voilà merci.

Publié dans Désobéissance civile

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